mardi 9 août 2016

Rappel à mes lecteurs et lectrices: nouvelle adresse de mon blogue

https://laprincesserebelle.wordpress.com/

Merci de me suivre!

samedi 25 mai 2013

Bonjour fidèles lecteurs-trices,

J'ai déménagé mon blogue à l'adresse suivante en mai 2013: avez-vous changé vos liens et marques-pages?
J'aimerais vous lire, écrivez-moi!




Merci de modifier vos liens et abonnements 
à mon nouveau site.

Et merci de me lire...


Princesse rebelle

jeudi 23 mai 2013

Du gaspillage des jaquettes - Traité d'économie publique


à moïsette, ma belle-maman.

La préposée à l’accueil, dont je n'aperçois que la tignasse noire et l'unique mèche mauve, attrape ma carte bleue et m’ordonne sans lever la tête de sa lecture: Enlevez le haut, mettez une jaquette et allez vous asseoir!
En ce gris novembre de l'an deux-mille-douze, me voici de nouveau en jaquette bleue, chemisier et soutien-gorge roulés dans un sac de plastique identique à celui de mes congénères. J'écornifle le papotage de deux employées, scandalisées du nombre effarant de jaquettes jetées au lavage en une semaine à la clinique du sein. Ce gaspillage éhonté, estiment-elles, empêche le gouvernement d’embaucher le personnel minimal requis.

Je reluque la salle d'attente et m’imagine revêtir, dégoûtée,  la jaquette des 100 patientes précédentes, puis la refiler aux suivantes : pardon, la tache de café, ce n'est pas moi!

Combien de fois servirait-elle, cette jaquette collective, avant d’aboutir dans le panier à linge sale? Et les microbes sur nos systèmes immunitaires affaiblis? Je lave mes mains à l’eau bouillante javelisée aux 5 minutes, obéissant aux affichettes placardées partout, mais je porte la jaquette de la fille qui tousse, voire de celle qui crache du sang?
Tiens! Un jeune homme en jaquette bleue à la clinique du sein aujourd’hui.  Le deuxième rencontré en 5 ans de suivi assidu. Comment vit-il sa minorité? Outre la rareté du cancer du sein masculin, on entend peu ceux qu’ils touchent. Propension moindre du  mâle à s’épancher? Timidité? Réticence devant la marginalité? Rien de tout cela? Cancer du sein ou du poumon, homme ou femme, un cancer c'est un cancer point final?  J’ai souvenir du premier homme rencontré ici. Accompagné de sa conjointe, mais portant lui-même la jaquette, il blaguait haut et fort avec toute la salle d'attente, en apparence très amusé de sa situation. Trop?

Blottie dans le giron de la communauté, une parmi tant d'autres, j'avoue m'en trouver un peu consolée. Appréhendant les mêmes mutilations, ajustant les mêmes perruques... Semblables épreuves entre semblables. Parenté des salles d’attente, des blogues, des forums, pensant les unes aux autres comme à des soeurs: comment s’est déroulée la mastectomie de Sandrine? comment se porte Isabelle, notre miraculée de l'herceptine, que deviennent les collègues de gym du projet Amazone? La sœur de X, la mère de Y... Mais le père de? Le frère de?

Comment te sens-tu jeune homme en jaquette bleue?

-   Madame Labbé, salle 7!

Les  jolies petites lunettes noires m'attendent. La prochaine fois il faut que je note la marque. Discret le sourire, réservée, ma chirurgienne. Sa seule extravagance consiste à arborer ce rouge à lèvres impeccable, mais ses yeux noirs vous scrutent sans maquillage. La concentration sans doute inouïe imposées par la salle d'op me porte à lui parler tout bas, brièvement, comme si elle tenait perpétuellement un scalpel plongé dans un organe vital. Un sourire sérieux. Je la préfère ainsi d'ailleurs. Comment ferais-je confiance à une chirurgienne riant bruyamment de mes tentatives de blagues, se tapant sur les cuisses, m'abordant avec familiarité et tapes dans le dos?  Déjà que le port de la jaquette incite maintes préposées au tutoiement intempestif et à l'infantilisation de la patiente.

Les lèvres rouges m'aperçoivent:

-  Bonjour! Je vois que vous allez mieux!

Huit mois plus tard, Belle d’Ivory ne perd pas le fil… (voir texte précédent CRÂNE FRAGILE)
Terrassée par une pansinusite et des migraines post ponction lombaire au printemps dernier, j'ai cru y rester. Dès lors, je suis passée de Survivante-angoissée-par-la-mammo-çà-y-est-c'est-la-récidive-je-le-sens, à Je-m’en-fous-quasiment.  Pourvu que la douleur sous forme d’intensité maximale se tienne coite.

Cette indifférence me laisse perplexe. Depuis 2007,  l'Avant-résultat de mammo suspendait sous mes yeux vitreux des petits hamacs bleus d'insomnie pas vraiment mignons. Mon caractère optimiste réduit à néant, je mettais des semaines à me reconstituer après l’acquittement prononcé par la docteure B, chirurgienne en oncologie de son état.

Cette fois, niet. Nul cauchemar de chirurgiens me pourchassant, sabre en main, pour me trancher la poitrine, aucune réserve exprimée devant les projets d’avenir à long terme de mon chum. Moins alerte, rendue gaga à force de mammos négatives, suis-je en train d'oublier la maladie mortelle qui a soufflé dans mon cou?

Pourtant. Jamais je n’ai sous-estimé le bonheur de n’avoir pas de rendez-vous à l’hôpital cette semaine,  ni celui  d’espérer sévir encore dans 15 ans. Embrasser les 20 ans de mon petit-fils, bercer les enfants à venir de ma Pitchounette, vieillir dans les bras de mon amoureux, rigoler avec ma famille à 70 ans, demander  à mes amies si je dois continuer à teindre mes cheveux à 75, rien n'est acquis.

Mais la trouille, la peur au ventre avant le résultat de la mammo? Volatilisée.

Un petit quelque chose clochait tout de même du côté gauche. Je l'envisageais sans la moindre anxiété: bof, ce sera comme les dernières fausses alertes!

S'en suivit une mammo dans 6 mois plutôt qu'un an, et nous voici donc, toute de novembre vêtue, dans le bureau de la docteure B, en train d'apprendre pourquoi le petit quelque chose se révèle bénin.

Mais alors, quelle sensation insolite remplace l'anxiété depuis? Je me sens coupable.  De m'en sortir à si bon compte à ce jour. De ne plus appartenir aux combattantes actives. La légitimité même de ce blogue remise en cause. Elle va mieux et persiste à décrire ses péripéties?

Qu'en dis-tu lumineuse Isabelle de Lyon ( http://isabelledelyon.canalblog.com/ ) dont la rémission demeure perpétuellement à conquérir une année à la fois, en tenant tes petites filles par la main? Qu'en pensent mes copines en chimio et celles des soins palliatifs? Fermer boutique ici et tourner la page pour écrire ailleurs, autre chose? Abandonner les copines? Puis-je décemment afficher cette issue optimiste qui semble la mienne?

Nul soubresaut d’anxiété à 3 heures du matin ces derniers temps, nulle apparition de hamacs bleus.
Rien qu’un tout petit  cauchemar, la veille du résultat : un médecin inconnu (grand, brun, frisé, l'air méchant, le connaissez-vous?) me pointait du doigt en criant : AVEZ-VOUS ACHETÉ VOTRE PERRUQUE? Je répondais tremblante que j’avais gardé celle de la première fois.

C'est cher, les perruques.



Ma fille, ma perruque et moi - Juillet 2007- Noémie s'était rasée par solidarité!


jeudi 22 mars 2012

Crâne fragile


DACTYLO CHINÉ CHEZ MON BROCANTEUR
Dactylo chiné chez mon brocanteur
Cinq ans après le diagnostic initial, la docteure B consulte les résultats de la mammo agrandie

Les microcalcifications n'arborent pas la forme suspecte qui nécessiterait une biopsie. La semaine se termine en beauté pour la docteure Belle d'Ivory, chirurgienne en oncologie; cette patiente là quittera le bureau  sourire aux lèvres.

La porte s'ouvre avec fracas. Surgit un fauteuil roulant, occupé par un fantôme blanc en jaquette bleue. Poussé maladroitement par un amoureux aux yeux cernés. 

- ... Bonjour... Qu'est-ce qui vous arrive?  

J'ouvre la bouche pour dire: maux de tête insupportables, hospitalisée depuis 4 jours, scan du cerveau, pansinusite aigue bilatérale, infection,  fièvres, vomissements, ponction lombaire... 

Depuis 2 jours, au moindre mouvement, des méga-vagues déferlent dans ma tête, se fracassent contre mon crâne, suivis de petits couteaux qui se plantent dans mon cerveau. Je ne me supporte qu'en position couchée et encore, immobile.

Mes pensées, ou les flots dans mon lobe frontal gauche, tentent de se transformer en brave petit radeau, lequel, une fois dirigé vers ma bouche et expulsé, devrait constituer un assemblage de mots appelé phrase.  Si possible cohérente. Échec lamentable. Le petit radeau se démantibule dans la région du thalamus et devient ce mot de 7 lettres qui ne serait payant au Scrabble que s'il était sur la case mot-compte-triple: DOULEUR!

Je m'entends répondre: ...baaaaal à la tête...

Appuyant le dire d'un geste vers mon crâne, j'accroche le fil du soluté. Tendre amoureux se précipite comme si ma vie tenait à ce fil. Puis explique à Belle d'Ivory:

- Le microbiologiste vient de nous dire que ce sont les effets secondaires de la ponction lombaire. Elle subira un ... quoi déjà?

- ...od batch,
précise une voix d'outre-tombe que je crois reconnaître comme la mienne.

- Dans 2 jours, si les maux de tête continuent, elle subira un Blood patch, complète mon amoureux.

Les Blood patch ne font pas partie de l'univers surchargé des chirurgiennes en oncologie. Docteure B arbore des sourcils interrogatifs.

Reprenons du début. Comment une survivante du cancer du sein, agrémentée d'un  trouble anxieux pathologique, parvient-elle à oublier complètement le but de sa visite annuelle à la docteure Belle d'Ivory, chargée de lui transmettre le résultat de sa mammo annuelle?

Cette année, la mammo de février a été suivie d'une mammo agrandie, indice potentiel d'un petit quelque chose qui cloche. Habituellement déclencheur d'insomnie et de haute tension jusqu'à la micro-seconde où la docteure B ouvre enfin la bouche pour prononcer un verdict d'acquittement. 

Parallèlement, une infection aux sinus mal soignée et, l'ai-je dit, douloureuse, me conduisait aux urgences quatre jours avant le verdict mammaire annuel. Reléguant aux oubliettes toute récidive du cancer appréhendée. 

Votre toute dévouée, mutée en immense nez sur deux pattes, était foudroyée, non pas d'inquiétude, mais par une douleur sans nom à la tête. À son arrivée aux urgences, elle menaçait de se la couper pour de bon, juste au ras du cou, si les médecins ne lui réglaient pas son cas, là, tout de suite et plus vite que çà, nom d'une Bobinette. 

Nous voici donc étendue sur une petite civière de fortune dans une pièce FORTEMENT ÉCLAIRÉE, assaillie des BRUITS INSUPPORTABLES causés par la discussion à voix basse du couple à côté. Attendant le médecin en chef. Lequel, devant notre regard agonisant et notre front volcanique, soupçonne une méningite. Voire pire, après lecture des antécédents, des méta au cerveau. 

D'où la ponction lombaire.

La ponction lombaire est pratiquée pour analyser le liquide céphalo-rachidien (LCR) afin d'éliminer notamment le diagnostic de méningite, conséquence possible de ma pansinusite bactérienne révélée par un scan du cerveau passé entre deux vomissements. Identifier le ou les ennemis à combattre permet  de cibler l'antibiotique approprié.

La ponction lombaire est un test invasif, fréquemment compliqué de céphalées, parfois très sévères et invalidantes. 

Devinez qui est tombée pile dans le Parfois?

Selon Wikipedia, ce syndrome post-ponction lombaire présente une intensité maximale en position assise et debout, et diminuant en position allongée. 

Votre toute dévouée précise que le qualificatif de maximale constitue un euphémisme très, très réducteur. 

Mais alors, vous-dites-vous, en plein centre hospitalier, en plein centre urbain, en plein vingt-et-unième siècle, ils n'ont qu'à la soulager cette atrocissime douleur? Sachez que devant son intensité maximale, la morphine ou rien du tout, c'est du pareil au même.

En deux mots, si d'aventure vous subissez ce syndrome: RESTEZ COUCHÉ. Soulagement immédiat. Le seul possible.
 
Vous détenez une étonnante habileté à vous situer, dans toute statistique, en plein Parfois, voire au coeur même du Exceptionnellement? Et 4 jours d'immobilité totale ne suffisent pas à éliminer le syndrome post-ponction lombaire d'intensité maximale? Le blood patch constitue le traitement de référence de cette complication. 

Il s'agit de la réinjection du propre sang du patient au niveau du point de ponction lombaire, permettant la cicatrisation de la brèche méningée. Un prélèvement sanguin au pli du coude est effectué. Ce sang est réinjecté lentement entre la 4e et la 5e , ou entre la 3e et la 4e vertèbre lombaire (deux espaces intervertébraux où on ne risque pas de toucher la moelle épinière). Je vous entends penser outch...

Mais on hésite à pratiquer le blood patch. Les traitements des effets secondaires comportent, eh oui, des effets secondaires! Lesquels sont éventuellement solutionnés par des traitements comportant... etc.  Ajoutez l'état préexistant, l'interaction médicamenteuse, l'allergie à la pénicilline, et le plus audacieux des urgentologues se mue en... retardologue: nous attendrons encore deux jours et si... 

Mais coup de chance inusité pour Princesse-de-moins-en-moins-rebelle: deux jours après le quatre jours fatidique conduisant au blood patch, le syndrome s'est estompé. Lui épargnant le blood patch et ses effets secondaires, à défaut d'avoir évité l'intensité maximale. 

- Pardon docteure, le microbiologiste nous attend pour l'installation de mon antibiotique intraveineux à domicile.

Mon cocher met notre monture en route et j'adresse un furtif au-revoir de la main à la docteure B. 

- Mme Labbé! s'écrie Belle d'Ivory stupéfaite.

- Mmmmmh? fais-je, tournant à peine la tête en sortant.

- Votre résultat!

Effort de concentration. Mon résult... 

- Ah oui! La mammo? 

- Tout est beau Mme Labbé, pas de récividive du cancer!

- Tant mieux... réponds-je distraitement, appliquée surtout à ne pas bouger la tête en parlant.

Et c'est ainsi que nous franchîmes mon 4e anniversaire de rémission du cancer du sein. Dans la plus totale indifférence. Totalement absorbés par le nouvel ennemi de l'heure, encore non identifié: le streptocoque A!

Princesse rebelle Sinusite.
_____________

Je me verse un thé. En prendriez-vous une petite tasse? Moment dubitatif. Dites-moi... que pensez-vous de ce nouvel épisode?

Pierre Bonnard, Le déjeûner, vers 1932.

 
Publié par Princesse rebelle

mercredi 16 mars 2011

Les petites lunettes noires


La docteure B, chirurgienne en oncologie, arbore les plus mignonnes petites lunettes noires qui soient. La presbytie a frappé ma Belle d'Ivory depuis ma dernière mammographie. Fidèle à elle-même elle fonce droit au but:

- Comment allez-vous? Vous n'avez pas passé la scintigraphie osseuse finalement?

C'est moi qui avais insisté pour cet examen la dernière fois. Sur la base d'une vague douleur passagère à la hanche droite, je m'étais auto-diagnostiquée une métastase osseuse à la faveur d'une nuit d'insomnie. La docteure B avait répondu par une moue et un hochement de tête:

- C e ne sera que pour vous rassurer... la douleur ne serait pas disparue après quelques jours.

Quelques semaines plus tard, la docteure W entérinait:

- Des douleurs sporadiques... non.

J'avais renoncé à cet excès de zèle. Au diable les auto-diagnostics nocturnes!

- Non, mon omni pense comme vous. Le tableau ne correspond pas.

Les petites lunettes noires se penchent pour écrire. Interminablement.

Pourquoi n'a-t-elle pas déjà lâché le morceau? Depuis plus d'une grosse demie-minute me voilà assise devant elle, la main serrée dans celle d'Amour-de-ma-vie. Depuis 2 ans que nous partageons tout, il me réitère la même promesse: cancer ou pas, rechute ou pas, mastectomie ou pas, on y fera face ensemble et on passera au travers pour au moins 25 ans. Après tout, sa propre maman combat vaillamment le même crabe depuis 2 décennies tout en savourant la vie et en s'achetant des balançoires et des poissons de toutes les couleurs pour son étang. Elle fait même de la tarte tatin! Malgré les chimios et autres friandises du même acabit. Il en a vu d'autres, Amour-de-ma-vie.

Les 2 dernières fois, Belle d'Ivory n'avait-elle pas lancé, à la seconde même où j'ouvrais la porte de son bureau:

- Tout est beau à la mammographie!

Mais non, elle s'acharne:

- Et l'ostéodensitométrie non-plus?

L'ostéoporose maintenant! J'ai d'autres loisirs que les salles d'attente vous savez...

- Ben... j'irai bientôt. Manqué de temps...marmonnai-je à vois basse. Ici, une oreille attentive saurait déceler une petite touche d'impatience. Mes doigts se mettent à pianoter sur le bras de la chaise.

Avez-vous déjà hurlé intérieurement? ET ALORS LA MAMMOOOOOOO ?????!!!!

Mini-pause de consignation au dossier. Les petites lunettes noires se relèvent, comme si elles venaient de se rappeler quelque chose:

- Tout est beau à la mammo! (sur le ton de Ah oui pendant que j'y pense, je vous fais part d'un détail insignifiant mais à tout le moins connexe).

- Ah bon tant mieux (ton presque indifférent).

Bouche bée.

(QUOIIIIII? RIEN????  PAS MÊME UN PETIT NODULE À VÉRIFIER À L'ÉCHO? NIET? NADA? AAAAAAAAAAAAH! HA! HA! HA! HA! HA! )

Amour-de-ma-vie chuchote en pressant ma main:

- J'te l'avais dit.

Ajoute, encore plus bas :

- Et s'il y avait eu quelque chose, on aurait dealé avec, c'est tout.

Le plafond du bureau de la docteure B s'ouvre subitement, tel une décapotable dans James Bond, sur un grand pan de ciel bleu où nous prenons notre envol. Dans notre félicité, nous oublions de saluer la docteure. 

Nous voici, anges de Chagall, traversant le plafond de l'Opéra de Paris et virevoltant parmi les pigeons ahuris. Dans notre danse folle, ma robe rouge s'enflamme et se pare de mille crinolines légères et ondulantes. De grandes oies blanches aux ailes parsemées de perles nous encerclent. Mon amoureux chorégraphe me fait tounoyer, ballerine en apesanteur, otage libérée, poupée d'inquiétude si tendrement bercée qu'elle s'endort en murmurant  tout va bien, tout va bien, tout va bien...

Telle est l'image cristallisée de l'instant précis où la docteure B m'annonça que je pouvais célébrer les 3 années de rémission du cancer du sein de la princesse rebelle.

Chagall - Le plafond de l'Opéra de Paris

dimanche 27 décembre 2009

La chaise de Léonard Cohen

À SANDRINE, À TON COURAGE, À TA GUÉRISON, LÀ-BAS, DANS LE CLOS DU CHÂTEAU.

Au petit matin du 11 juillet, je me réveille maintenue par les pieds, tête en bas, et secouée au-dessus du vide. Elle me ballote et je virevolte, yeux exorbités, chauve-souris aux ailes maigrelettes battant au vent. La seconde chimio.

Et je m'étonne de conserver la conscience chaque fois que ma tête se fracasse contre le mur de brique.

Tiens, me dis-je, il existe finalement quelque chose après la mort? Ou est-ce la mort elle-même au présent...? Alors quoi? Pas de tunnel? Et la lumière chevrotante au bout? Que nenni! Balivernes!

Je m'agrippe au hasard, croyant graffigner le vide, et attrape plutôt la couette fleurie rabattue sur ma tête. Mes yeux, que je croyais déjà ouverts, s'entrouvent sur la chambre bleue. Qui bascule. Je me jette en bas du lit et rampe jusqu'au grille-pain. Des rôties disait maman. Contre la nausée, la fièvre, le mal de vivre, rien de tel qu'une tartine grillée dégoulinante de... Bon, un rien de beurre suffira.

Tout s'annonçait pourtant fort bien, hier, jour du 2e traitement. Mon amie Jo écarquillait les yeux en reluquant la seringue rouge plantée dans ma main gauche, mais quelques bonnes blagues des patients voisins ont suffi à la détendre. Incroyable cette athmosphère bon enfant des salles de chimio, on jurerait que tout le monde y reçoit un banal manucure en papotant et s'échangeant des recettes de biscuits. Le dernier solde de foulards colorés chez Simons et les meilleures marques de crayons à dessiner les sourcils y font fureur. Défiant les pronostics de l'infirmière, j'avais ensuite partagé un repas copieux en compagnie de Minoune Bébitte et la princesse Noémie était venue passer le nuit, au cas-zoù. Tout juste si elle ne m'avait pas lu une histoire avant de m'endormir, mon enfant, ma grande fille.

Un miracle les rôties. Confinée sur une île déserte, réduite à choisir un objet, j'ai toujours cru opter pour un livre, sans arriver à déterminer lequel. Je déclare aujourd'hui ce voeu désuet: qu'on me laisse un grille-pain. Je trouverai bien une graminée pour faire du pain et deux-trois abeilles à qui voler du miel.

Gloire aussi à la pharmacienne en onco, laquelle a déployé tout son art pour coucher sur le papier les noms hyéroglyphiques des antinausées les plus branchés. Sans lésiner sur la posologie, elle m'avait prévenue d'ingurgiter ses granules à heures réglées comme un coucou suisse.

Du pain et des gellules, le combat du romain moderne.

Le mercredi 11 juillet, mon jogging quotidien sur le bord de la rivière s'est limité à 50 secondes chronométrées. Pas une de plus. Au moment de flancher, j'ai trouvé cette chaise¸avec une inscription gravée dans le roc:

Hold me close
and tell me what the world is like
I don't want to look outside
I want to depend on your eyes and your lips

Leonard COHEN

Je l'ai trouvée invitante et m'y suis reposée. J'aimerais bien dépendre de tes yeux et de tes lèvres moi aussi. Ajouté l'idée à ma liste d'objectifs. Ralentir le tourbillon, redevenir cette souris chauve qui s'accroche à ses 50 secondes d'envol, à ces visages tournés vers elle, à ces cartes postales, au petit canard jaune posé sur le bord du bain et à l'idée de dépendre de tes yeux et de tes lèvres.

Demain, je ferai de la marche rapide. Rien de plus, mais rien de moins. J'ai quelque part où aller.

dimanche 29 mars 2009

La chaise bancale

9 juillet, veille de la Chimio Deux.

Ouverture de rideau.

À midi une, la café de l’hôpital affiche complet. Atteinte de turquoisite aigüe de la tête aux pieds, une septuagénaire chancelante reluque le menu. D'un doigt blanchi par l'effort, elle presse son dyachylon ouaté au creux du coude, comme si le moindre relâchement allait la vider de son sang. Elle reluque. Elle reluque. Sourcil interloqué et pianotement de doigts du préposé à la sandwichstique. Et s'allonge la file d'attente.


Derrière elle un jeune homme chauve ajuste le volume des écouteurs de son Ipod. Propension altruiste ou surdité précoce? Toujours est-il qu'il diffuse gracieusement ses choix musicaux au grand bénéfice de toute la cafétéria. Je reconnais en lui un confrère de la salle de chimio, cancer des testicules si ma mémoire est juste. Tout en procédant à cette ingénierie sonore, il raconte à sa copine comment, à la question : T'as commencé ta chimio? il répond dare-dare: Non, je suis contre le port du sourcil!
Un fauteuil roulant chargé de sacoches de matantes suit en troisième place. Y trône un patriarche édenté, venu de loin et en famille, au sourire attendrissant mais sans destinataire précis, du moins visible.


Devant moi, une Brunette à talons hauts se replace le chignon au négligé étudié devant la vitre du comptoir, arborant corset cervical et mâchoire crispée (ce salaud lui est rentré dedans sur la rouge).
MMM... Mon rendez-vous avec docteure Onco est fixé à midi quinze tapantes (devrais-je préciser de midi quinze à midi dix-huit?)


Au rayon soupes et petits pains d'à côté, la file se limite à un ado au plâtre entièrement graffitifié (accident nébuleux de bal de finissant), suivi d'un jeune médecin imberbe dont le stétoscope scintille comme un joujou tout neuf. Reluquant l’horloge je change de file et passe de 5e à 3e de la queue.
Aussitôt, surgit de nulle part une bande d'ados à capuchons, lesquels rejoignent bruyamment l'ami plâtré en tête de file. Sans un regard pour nous, vulgaires adultes, donc invisibles. Et tour à tour de passer leur commande, se bousculant et pouffant d'une voix mélodieuse fraîchement muée. Sans oublier de changer d'idée à chaque nouvelle commande d'un ami différente de la leur. Les capuchons sont des êtres à 98% solidaires.

L'horloge me jette un oeil inquiet. Je renonce. Allez houste! En onco! Les consignes du metteur en scène sont formelles : on ne fait pas patienter une oncologue.

Salle d’attente bondée. Un écriteau affiche les heures de bureau et le nom du Patient de garde ce jour-là.

D’un côté, une armée de sarraus assis, stétoscopes au cou, feuilletant des e-magazines ou clavardant sur leur Blackmachin. Entrouvant la porte affichant mon nom, je saisis le premier dossier dans un panier accroché au mur et appelle au micro :


- Docteure… Gynéco!

L’élue sursaute, attrape sa mallette et se précipite vers mon bureau. Ma chirurgienne, ma radio-oncologue et mon oncologue la dévisagent avec envie.

Docteure Bistouri à docteure Onco :

- Pardon, votre rendez-vous était à quelle heure?
- Ne m’en parlez pas! J’attends depuis une semaine et demie…

Soupirs.
- La dernière fois, j’ai poireauté deux heures et quart pour trois minutes avec elle: examen vite fait, osculation bâclée, et au diable la tension artérielle! à ma deuxième question, elle avait la main sur la poignée de porte!
- Apparemment, elle voit un nouveau, çà ira de mal en pis…
- Oui, son omni m’en a parlé aux Soignants Anonymes… Un pneumologue!
- Difficultés respiratoires?
- Aux dernières nouvelles.
- En tout cas, rien à voir avec la chimio! clame docteure Onco un peu plus abruptement que la situation ne le requiert. Toute la salle prête l'oreille.


Dissimulée derrière l'Actualité médicale , elle poursuit à voix basse:
- J'ai moi-même rencontré sa généraliste aux ateliers Je partage mon vécu de Soignant... Elle m’a confié qu’elle était déjà asthmatique… avant! Ah! justement…!

Arrive Chère Omni, à point nommé.

- Bonjour! Vous disiez?
- Oui, des antécédents d’asthme n’est-ce pas?
- En effet…
- C’est ce que je disais! s’exclame docteure Chimio d’un ton satisfait.
- Mais un asthme uniquement allergique, aucunement à l’effort. Jusqu'ici, elle s’entraînaît sans médication, enchaîne Chère O. Je l'ai référée en pneumo par acquis de conscience, mais vous l'aviez sans doute déjà...?
- J'allais le faire! interrompt docteure Chirurgienne.
- C'était dans mon plan d'investigation... ajoute docteure Radio-Onco.
- S'entraînait, s'entraînait... c'est vite dit! objecte docteure Onco.
- Absolument! Thaï-box, aérobie et …
- PFFF... en salle! Même les emphysémateux y arrivent!
- ... Jogging. Même à l’extérieur en hiver. Crises d’asthme exclusivement réservées au contact d’animaux, chiens, chats, chevaux… Elle évitait tout contact depuis des années et ne requérait plus aucune médication depuis.
- Les allergies peuvent réapparaître! répète docteure Onco sur un ton septique. Par...
- Mais calmez-vous chère consoeur, et même si c’était la chimio…
- ... contre, l'anesthésie de la chirurgie...
- En post-chirurgie, ses poumons étaient toujours clairs! rétorque Docteure Bistouri.

Docteur Omni, conciliante :

- Attendons le diagnostic du pneumo…

Silence songeur.

- Mon grand-père visitait ses patients à domicile, nuit et jour, mais au moins, il ne poirotait jamais dans une salle d’attente...
- Sans compter qu'à l'époque, les patients prenaient le temps de nous recevoir et de répondre à nos questions!
- Et ne magazinaient pas un deuxième avis à gauche à droite!
- Cependant, observe Chère Omni, il perdait toutes ses patientes atteintes du cancer du sein dans les cinq ans!
- Rien de parfait! concèdent les autres.

Une petite cloche tintille. Tous se tournent vers l’ascenseur, d’où jaillissent douze musiciens à chapeaux hauts-de-forme. Une musique endiablée éclate. La salle d’attente au complet se lève d’un bond, jette son sarrau en l'air, et se met à danser à claquettes. Un des musiciens entonne:

M’en revenant de sur l’Docteur Brochu-u!


Et l'assemblée de répéter:
M’en revenant de sur l’Docteur Brochu-u!


Avec ma liste de maladies dins mains-ains!
J’ai rencontré-é mon ami Jean Coutu!
Et l'assemblée de répondre:


J’ai rencontré-é mon ami Jean Coutu!
Y m’a dit : Viens faire un tour dans mon beau magasin-in!
Du Robaxacet pour mon mal de do-os!
(Du Robaxacet pour mon mal de do-os.!)

Du Robitussin pour mon rhume de cerveau!


Et tous en choeur:

Une pilule, une p’tite granule, une crème, une pommade,
Y’a rien de mieux mon vieux si tu te sens malade!
Une pilule, une p’tite granule, une infusion, une injection
Y’a rien de mieux fiston pour te r’mettre sur’l’piton!
(1)

Noir total.
Retour des spots. Salutations de la Docte Académie en parfaite synchro devant un public en délire (deux bénévoles et un gardien de sécurité).

Soudain, la voix de docteure Onco retentit au micro.
- Madame Labbé!


Je sursaute, affalée sur une chaise bancale, le cou tordu contre un mur dont la tapisserie décolle.

- Madame... Labbé?

Rien de parfait, vraiment.

Rideau.


(1) Remède miracle (Une pilule, une ptite granule), Mes Aïeux.

Garçon, peinture, merci à Philippe Coudray